Témoignages
                                                                                                         








Rémy ARON

Souvenir personnel d‘une première correction

Ce matin de l’automne de l’année 1975 est gravé comme l’articulation fondatrice qui a engagé toute ma vie d’artiste.

La scène s’est passée au cours Yvon, elle fut d’une violence inouïe, tout mon être avait fondu en quelques instants et je me suis retrouvé au milieu de la cour de l’École des Beaux Arts à un carrefour de vie. Il fallait sur le champ prendre une décision, il fallait immédiatement choisir.

Les réflexes d’une ancienne pratique des arts martiaux, j’étais troisième dan de karaté, élève de Nanbu, m’ont permis de résister et d’affronter le dilemme des deux routes qui s’offraient. Je fus rassemblé en moi-même par un violent cri silencieux, celui qui engage toute la personne en un éclair, pour un acte définitif.

La première route était le chemin du refus, celui qui descendait dans la vallée banale où il suffisait de me laisser glisser.

L’autre, conséquence de la transmutation qui s’opérait, me présentait la masse énorme des montagnes et des sommets que j’apercevais. Je me devais donc de décider sur le champ.

J’avais commencé à la période trouble de l’adolescence à dessiner avec des feutres sur des cahiers d’écolier pour combler un autisme de circonstance, qui s’était prolongé par des engagements militants libertaires pour l’occupation de mon lycée et les grandes processions de soixante-huit. J’étais alors, à vingt-trois ans, sans jamais avoir cessé de peindre ou de sculpter, résident à la Cité Internationale des Arts. J’avais passé mon Bac quelques années plus tôt, et mon diplôme des Beaux Arts depuis l’atelier de Singier, et avais présenté plusieurs expositions qui m’avaient semblé avoir un certain succès amical et parisien.

J’étais, comme on pourrait dire, bien parti.

Mais une inquiétude me taraudait, je cherchais dans les livres et j’étais en quête d’une parole et de quelque chose, car j’étais confronté à l’évidence de mon ignorance. Je « traînais » souvent à cette période au cours Yvon, où j’ai entendu celle de Plin (NDLR) qui officiait entouré une grappe d’élèves attentifs. Là, quelque chose d’original et de nouveau m’a attiré. Puis, pendant des mois, j’ai tourné autour, au sens propre, en écoutant et en essayant de faire comme il « disait », et en croyant bien faire.

Ce jour là, à celui que je tente de décrire, j’avais apporté une grande quantité de « papier », j’attendais des félicitations, car j’avais bien travaillé. Il a feuilleté l’ensemble avec un regard distrait et négligent sans me regarder. Après une vague explication de ma situation, il m’a dit « Eh bien, il faut reprendre à zéro », en me donnant comme viatique une feuille mentionnant le programme d’activité de l’atelier.

Je sortis de l’atelier titubant et vidé pour me retrouver au beau milieu de la cour, et là, en un instant, ma décision fut prise, et je reconnus ensuite que j’étais passé à côté d’Ingres qui m’avait conforté par son « dessin est la probité de l’art ». Je sortais entre Puget et Poussin que confusément j’allais reconnaître, rue Bonaparte, joyeux d’être en route pour l’ascension et d’avoir trouvé un guide.

Jusqu’à sa mort tragique, Roger Plin m’a indiqué la voie, de plus en plus amicalement, et depuis, grâce à lui, je continue à ne rien savoir et regarde, avec une connivence apaisée, faite de plus en plus d’admiration et de plaisir, les sommets qui s’éloignent.
1er Février 2008