Témoignages
                                                                                                         







Jacqueline BOUCHOT-SAUPIQUE, ancien Conservateur du Cabinet des dessins du Musée du Louvre


Exposition Roger PLIN, Galerie Paul Cézanne 1961

Roger Plin est un convaincu, et comme il partage mon point de vue sur le dessin, je ne puis imaginer qu’il ait tort.

C’est sous deux angles différents que nous concevons notre amour du dessin, puisque Plin est artiste et professeur, et que je suis, moi, conservateur de dessins. Mais un même intérêt passionné nous attache à ces feuillets qui sont les confidences des artistes, et quand nous en parlons ensemble, c’est bien avec le même cœur et la même langue. Aussi ai-je relu dernièrement avec plaisir les réflexions de ce jeune artiste publiées dans le Bulletin de l’Éducation Nationale.

Roger Plin s’y place dans son rôle d’initiateur, il s’appuie sur le riche patrimoine artistique de la France, conseille l’étude attentive des œuvres du passé, estimant que le contact direct avec une œuvre aboutie est la meilleure introduction aux initiatives d’un art personnel.

Ses arguments sont bons, ils ont été compris ; l’exposition des travaux d’élèves au Musée Pédagogique nous en apporte une preuve tangible.

Pour beaucoup de censeurs sévères, cet enseignement peut être considéré comme dangereux, et susceptible d’influencer un tempérament jeune ne se connaissant pas encore bien lui-même.

C’est précisément par son œuvre personnelle que Roger Plin répond à ces objections ; il s’exprime sous la forme la plus indépendante et la plus individuelle. Il nous dit qu’il a regardé, et travaillé les dessins de maîtres, très profondément ; voyons maintenant si cette étude a modifié en quelque sens son œuvre de dessinateur.

Je n’entreprendrai pas de raconter son histoire, mais dans cette vaste présentation des dessins de ces dernières années, je voudrais souligner ce que la tradition a pu lui apporter, et surtout ce qu’il a su dégager de cette connaissance. Il y a dans son œuvre tant de notations différentes, et cependant contemporaines qu’on le sent soumis à l’inspiration qui le pousse suivant le thème choisi, l’heure, la disposition du moment.

Une large part de son activité d’artiste se développe à la campagne ou à la mer, parce qu’il est alors en vacances, et jouit de la totale liberté de temps et d’esprit favorable aux recherches personnelles. Le groupe des études de ports, de plages et de bateaux, d’un caractère réaliste, me semble révéler une attirance profonde pour ce monde nostalgique.

De ces vues de mer comme de ses paysages de campagne se dégage une intime et poétique compréhension de la nature, de cette nature à laquelle Plin est attaché, et surtout qu’il connaît bien : elle est devenue un peu « sienne ».

Les paysages et leurs petites fermes blotties dans les arbres sont traités en plans très affirmés : son métier est moelleux, feutré et savoureux, parfois éclairé de blancs lumineux.

Parfois des paysages de mer (qu’on regrette de ne pas trouver plus nombreux), dans leur déploiement apparent de détails, dégagent un caractère de grandeur simple. On aimerait que cette sobriété si pleine de sens pût apporter à ses élèves une saine leçon.

Ces études de plages, de ports de pêche et de villages de pêcheurs des environs de Deauville et d’Honfleur sont, heureusement, dépouillées de toute « mondanité ». Ce n’est pas au bord de l’eau qu’il nous présentera de belles nudités, mais dans des études d’atelier, volontaires et savantes. Dans ces corps robustes aux attitudes aisées, où tout l’appareil de la plastique musculaire est en mouvement, on sent bien que Plin va être entraîné par son tempérament vers la sculpture.

Là, il pourra réaliser les volumes pleins qu’une figure comme celle de l’affiche appelle directement. Ce sont peut-être les Nus, où s’affirment le plus complètement ses dons de dessinateur qui passent de l’ampleur rubénienne des formes féminines à la nervosité élégante et musclée des hommes.

On peut dire que tout l’intéresse dans la vie qui l’entoure : robustes natures mortes, denses comme de la peinture, portraits indiqués d’une main légère, parfois même étude d’un visage entrevu à travers une série d’impressions comme le portrait de Gaston Bachelard, d’une délicate distinction.

C’est en parlant de ses solides études de nus que, par un chemin naturel, de ses recherches, Roger Plin nous conduit à des compositions qui, sans être de « l’abstrait », constituent cependant une contribution aux recherches de notre temps.

Dans ses démarches variées de son art, Roger Plin garde, quelle que soit la forme plastique choisie, une expression spécifiquement française, à l’abri de toutes influences étrangères qui touchent si fréquemment nos jeunes.

Et n’est-il pas satisfaisant que les élèves de cet artiste puissent comprendre que son enseignement, qui insiste si vivement sur l’étude du passé, ne s’y arrête pas, et atteigne dans l’équilibre les tentatives contemporaines ?