Témoignages
                                                                                                         







Joël POMMOT


« Ce qui fait les hommes de génie, ou plutôt ce qu’ils font, ce ne sont pas les idées neuves.
C’est une idée qui les possède, que ce qui a été dit ne l’a pas encore été assez » (Eugène Delacroix, 15 mai 1824).

« Je suis le pont sur lequel vous passerez tous » (Gustave Moreau).

Roger Plin… Chers amis, ne vous rappelle-t-il pas Louis Jouvet, ce magnifique comédien, haut personnage, collet-monté, l’œil vif et inquisiteur, qui pouvait vous glacer d’effroi ? Jouvet, le Professeur, celui auquel l’élève Pierre Brasseur, jeune et impétueux, jette à la face ces mots : « Monsieur, moi, je veux m’exprimer avec mes tripes ! » ; et la réponse tombe comme un couperet : « Des tripes…, des tripes… mais ça se fait cuire à feu doux… ».

Nous avons été ces jeunes fougueux, impatients du « chef d’œuvre » que nous allions réaliser, là, maintenant. Le temps a passé, il en a fallu beaucoup pour comprendre que nous avions fait une rencontre, celle de notre vie : c’est l’expérience, celle qui, après beaucoup d’efforts, vient en silence.

Roger Plin, c’est aussi ce maître que va chercher Golmund ayant fui le monastère, et délaissé son ami Narcisse dans le roman d’Hermann Hesse ; le secret enfin révélé, il peut vivre.

Cette relation privilégiée, nous l’avons eue aussi, tellement différente de celle que connaissent les étudiants de faculté, où le professeur, au centre de l’hémicycle, parade et distribue des connaissances à la volée, sans en attendre l’écho ; l’élève peut dormir. Cette relation, c’est celle, plus intime, de l’initiateur à l’initié : chacun de nous se sentait comptable au monde des talents qu’il recevait. Nous sortions de la nuit, et faisions partie de cette chaîne qui plonge loin dans l’histoire des arts, nous pouvions enfin frôler cette sensation étrange que le génie pouvait être possible. Nous gardions l’esprit de l’enfance, confiants dans l’avenir.

Mais le rêve tourne, notre maître, devant nos yeux trop embués pour le voir, tomba comme ces héros antiques dans une solitude profonde, et se retira du monde, celui d’aujourd’hui devenu une période de « recherche », période rêvée pour les charlatans, ou tout simplement un monde différent où il est plus facile d’aller sur la lune que de réaliser un beau dessin comme ceux de Roger Plin.

Février 2008